Maman, je dois te dire quelque chose. Quelque chose qui me ronge depuis longtemps. Je suis une fille. Et là, dans mes espoirs les plus fous, tu m’aurais pris dans tes bras. Tu m’aurais dit que tu le savais déjà. Que tu attendais que j’ouvre mes ailes et le découvre par moi-même.

Ce n’est pas comme ça que ça s’est passé.

Tu m’as regardée comme si une deuxième tête m’avait poussé, et en un regard, mon monde s’est effondré.

— Écoute, c’est ton choix, mais…

Le « Mais » est l’enclume qui tombe sur ma tête. Ce « mais », je l’ai vu tant de fois autour de moi. Dans les témoignages des autres, sur Internet. Dans les séries télévisées. Dans les livres. Le « mais », c’est le couteau qui s’enfonce dans la plaie, le sel qui la rend incandescente comme la braise.

— Je sais que c’est important pour toi, mais tu comprends, c’est comme si je devais enterrer mon fils. J’ai besoin de faire mon deuil.

Les mots frappent aussi fort que la douleur. J’ai envie de hurler que je suis toujours là. Que je ne suis pas morte. Que tout ça, ce n’est pas à moi de l’entendre, mais à elle de l’intérioriser. Que ce n’est pas de ma faute si ce garçon n’a jamais été là.

Que c’est injuste de célébrer les funérailles de quelqu’un qui n’a jamais existé.

Je pousse un lourd soupir, roule des yeux et, immédiatement, elle prend la mouche.

— Tu dois me comprendre ! J’ai mis au monde un garçon. Un joli garçon, en pleine santé. Et regarde-toi, maintenant. Tout est si différent.

Que je regarde quoi, maman ? Qu’est-ce qui est différent ? Je ne suis pas différente. Je ne suis pas morte. Je suis plus vivante que je ne l’ai jamais été. Tu devrais être heureuse pour moi. Les parents ne sont-ils pas censés soutenir les grandes étapes de leurs enfants ? Découvrir qui je suis vraiment n’en est-il pas une ?

Je veux la supplier de me regarder. De me voir comme je me vois, pas comme ce fantôme du passé, cette chimère qui n’existe que dans son esprit, depuis toujours. Ah, il est beau le déni ! Tu me parles de funérailles, toi qui n’es pas capable de passer au-dessus de cette première étape !

Tu veux faire ton deuil ? Très bien ! Brûlons cette image du passé, qu’elle disparaisse pour de bon, que nous passions à autre chose.

Je rassemble les photos, les jouets, les vêtements. J’y mets le feu. Si c’est la condition pour l’effacer, ce garçon qui me fait de l’ombre, alors brûlons-le comme on brûle les idoles, les fétiches, les rois ! Ce ne sont pas des funérailles, maman. C’est un feu de joie. Chaque fin marque un nouveau commencement. J’aimerais que, toi aussi, tu fasses ce premier pas.

Je ne suis pas un garçon.

Je ne suis pas un garçon !

Dans les cendres du passé, c’est un phénix qui renaît ! Feu de mort, feu de vie, que tout se mélange dans ta tête !

Je suis là.

Je suis vivante.

Je suis une fille.

Regarde-moi, je t’en supplie.

Car si tu continues à m’ignorer, à m’insulter, à me regarder comme si j’étais un monstre, alors demain, peut-être, tu devras faire le deuil de ma présence.