Deux policiers. Trois pompiers. À ma table. Un matin. 8h30. Mes parents. Des larmes sur les joues. Et puis, moi. Dans l'escalier. Figée. Un seul mot en tête.
Pourquoi ?
Un signe de main. Je les rejoins. Tremblante. Je m'assois. Ils ne disent mot. Personne ne dit rien. Juste le silence. Un silence bruyant. Lourd de non-dits. Des regards de tendresse. De pitié. De tristesse. De peur. D'amour. Un seul mot en tête.
Quoi ?
— Mademoiselle, nous... Apportons une nouvelle qui... Vous concerne.
Une voix grave qui brise le silence. Et puis à nouveau plus un bruit. On attend ma réponse. Je crois.
Je hoche la tête.
— Il... Il a eu un... Accident.
Un seul mot en tête.
Qui ?
— Gabriel Tremblay.
Un battement de cœur trop rapide.
Un qui saute.
Mon coeur tambourine fort.
Mes doigts crispés sur le bord de la table.
Un seul mot en tête.
Quand ?
— Ce matin, dans les alentours de 5 heures 30, il...
Un seul mot en tête.
Comment ?
— Il a percuté un poids-lourd de 53 pieds. Les autres automobilistes ont appelés les pompiers. Il a été envoyé a l'hôpital, mais...
Un seul mot en tête.
Où ?
Personne ne poursuit. Seul le silence. Encore. Lourd. Très lourd. Même les mouches se sont tues. Pas de souffle. Sauf le mien. Rapide. Saccadé. Brisé. Toujours le silence. L'un des policiers déglutit. Difficilement. Un regard en coin à son collègue. Et puis.
— Nous sommes navrés.
Trois mots.
Un univers brisé. Déconstruit. Vole en morceaux.
Élan d'énergie. Debout. Et puis, la porte. Les marches sous mes pieds. Les voitures. Les arbres. La route. Des bruits derrière moi. Je ne sais pas ce que je fais. Où je vais. Je m'enfuis. Loin. Loin de cette nouvelle. Désastreuse. Fausse. Forcément fausse. Mensonge. Joke.
Je cours. Loin. Loin. Loin. Longtemps. On me rattrape. Je m’écroule. Sans un mot. Je tombe à genoux. Je fixe devant moi. Sans rien voir. Tout est flou. J’entends des voix. Incompréhensibles. Je vois des lumières flashs. On me soulève. On m’installe dans un camion. On me promets que tout ira bien.
Mais trois jours plus tard, ce n’est toujours pas le cas. Trois jours plus tard. Devant une boîte. En bois. Un trou dans la terre. Une fleur blanche posée dessus. J’ai envie de leur dire qu’il préfère les fleurs bleues. Mais je ne dis rien. La gorge trop sèche. La langue trop lourde. Je regarde. Juste, j’observe. Comme spectatrice de mon corps. J’attends. Que tout soit finis. Qu’il soit enfermé à jamais. Que mon amour s’estompe. Mais plus les minutes défilent, plus mon amour grandit.
Mon chéri. Dans cette boite.
Mon chéri. Les yeux fermés.
Mon chéri, le coeur arrêté. Tandis que le mien bat à tout rompre. J’aimerais qu’il se rompe. Que je le rejoigne. Que je le retrouve. J’aimerais sentir ces bras. Autour de mon cou. De mes hanches. Ses mains sur mes joues. Sur mes fesses. Ses lèvres sur mes lèvres. Dans mon cou. Sur mes épaules. Ses yeux dans mes yeux. Son sourire charmant. Qui illumine mes journées. J’aimerais qu’il soit là. Debout. Qu’on m’annonce un poisson d’avril.
Mais nous sommes en novembre.
J’attends. Que tous partent. Que leurs larmes cessent. Pour que les miennes coulent. J’attends. Que le cimetière se vide. Que la vie s’en aille. Et puis. Je m'assois. Je m’allonge. À côté de lui. Je fixe le ciel. Je me demande si l’étoile au-dessus de moi, c’est lui. Est-ce lui ? Me voit-il ? Je tends la main, comme pour la toucher. Je ne peux pas la toucher. La nuit tombe. Les insectes grésillent. Je ne bouge pas. Je ne peux pas bouger. L’air devient frais. Puis froid. Je grelotte. Mais je ne bouge pas. Vais-je mourir ici ? Je ne veux pas mourir. Mais je veux le rejoindre. Je veux le retrouver.
Mon chéri. Trop tôt. Il n’aurait pas dû.
J’attends. Que les larmes coulent. Mais elles ne coulent pas. Aucune ne s’échappe. Suis-je cassée ? Ai-je trop pleuré ? Je ne sais pas. Je ne sais plus. Je reste allongée. Seule. Comle je le suis depuis qu’il n’est plus là. Je reste allongée. Les roches me font mal au dos. Tant pis. J’endure. Le ciel est noir. Les étoiles au-dessus de ma tête.
Des pas approchent. Ma vision est floue. On vient me chercher. Je me laisse faire. Entrainer au chaud. Puis sous la couette. Puis câliner. Sans rien ressentir.
Parce que mon coeur est mort dans cet accident.
Parce que mon coeur est resté au cimetière.
Parce que la seule chose qui le faisait battre, la seule personne, n’est plus.