Au café du coin

Chocolat stressait, était-ce vraiment une bonne idée ? Dans tous les cas, c’était trop tard. Ses jambes tremblaient. Ses moins moites rendaient la tenue des roses un peu plus compliquée. Sa gorge avait du mal à déglutir tandis que ses lèvres essayaient désespérément de retrouver de la couleur. Il s’avança doucement vers l’entrée du café, prit une grande respiration et ouvrit la porte battante qui grinçait légèrement.

Soudain, le bruit ambiant vint remplir ses pensées de tout autre chose. Il n’arrivait même plus à réfléchir. Tellement de petits détails lui prenaient la tête. Mais cette mauvaise humeur s’en alla quand il sentit l’odeur des plats succulents qui se dégageaient des cuisines. Chocolat chercha partout Carotte mais ne la vit pas. Il était arrivé le premier.

Première rencontre avec son ami pour Carotte. Comme à son habitude, la jeune fille était en retard. En train d’enfiler ses chaussures de travers, elle se regardait dans le miroir. Elle passa un coup de brosse dans ses cheveux roux et enleva le gloss qui débordait de sa lèvre. Elle avait maintenant le doigt recouvert de maquillage rose. Elle prit son sac au plus vite et partit. A mi-chemin, elle se rendit compte qu’elle avait oublié de fermer à clef. Demi-tour pour Carotte qui décidément n’était pas très douée ce midi. Elle courut aussi vite qu’elle pouvait, son téléphone déchargé. La brasserie se trouvait à dix minutes de son appartement.

Chocolat regardait sa montre. Trente minutes de retard. Viendrait-elle ? Il lui avait envoyé un message mais elle ne répondait pas. Il était désespéré. Tout à coup, il la vit arriver. Elle était encore plus belle en vrai. Une jeune femme rousse, transpirante, assez grande. Sa veste en cuir noir faisait ressortir le reste de sa tenue : une belle robe rouge, assez cadrée, qui lui allait jusqu’aux genoux. Il la reconnu au premier coup d’œil, ce ne pouvait être qu’elle. Elle se précipita vers le jeune homme. En arrivant à la table, son sac se renversa, faisant virevolter son portable et quelques affaires.

- Excuse-moi ! commença-t-elle par dire. C’est bien toi ?

Chocolat fut surpris. Il ne s’attendait pas à une personne aussi maladroite. Cela contrastait considérablement avec son niveau de tireur d’élite dans les jeux vidéos.

Le jeune homme en face d’elle était tout timide, ce qui n’était clairement pas le cas sur les réseaux sociaux, quand ils discutaient en vocal ensemble. Il murmura un petit « oui » tout en souriant bêtement. Carotte le trouvait mignon comme cela, avec ses petites roses blanches. Elle engagea alors la conversation quand le serveur arriva :

- Tu veux manger quoi ?

- Un burger, cela me va bien, et toi ?

- Un tartare de bœuf pour moi s’il vous plaît.

- Très bien, c’est noté ! dit le serveur en se retournant.

- Tu… tu as pu jouer aujourd’hui ? reprit le jeune homme brun.

- Non ! C’est horrible ! Je me suis réveillée à la bourre. J’ai seulement eu le temps de prendre une douche et de m’habiller avant de partir. Mais j’ai joué hier soir et j’ai bien performé.

- Zut alors ! Je voyais bien que tu n’étais pas connectée quand j’étais dans le train…

- Sinon, tes problèmes avec Diane ? Ça va mieux ?

- Pas vraiment… Je… Je ne suis pas très à l’aise d’en parler ici, répondit Chocolat.

- Ok pas de soucis.

La femme rousse ne comprenait pas. Pourquoi Chocolat était-il si gêné ? Mais elle savait une chose que le jeune homme adorait : les jeux vidéos, comme elle.

Le jeune homme brun n’osait pas parler. Derrière un écran, cela était plus facile. Mais devant une personne, c’était tout autre chose… Il se perdit dans ses pensées quand la femme en face de lui reprit :

- Et donc tu as joué ce matin ? Tu t’es entraîné ?

Chocolat revint à la réalité, les jeux vidéos étaient toute sa vie, avec ses études d’ingénieur bien sûr. Il esquissa un grand sourire :

- Oui ! Je me suis entraîné au snipe. Mais je suis bien moins doué que toi. A vrai dire, c’est ta spécialité. Moi, c’est le tank.

Quelques échanges sur les jeux vidéos plus tard, c’était l’heure de se dire au revoir. Chocolat était un peu triste. Il avait apprécié ce moment. Il insista pour payer le repas mais la demoiselle préféra faire 50/50.

- Eh bien au revoir Chocolat !

Carotte commença à partir quand le jeune homme brun l’interpella. La belle rousse se retourna. Chocolat prit une grande respiration et dit :

- On se reverra, n’est-ce pas ?

Carotte le regarda longuement. Elle savait que l’homme brun avait envie de la revoir. Mais elle, non. Ce n’est pas qu’elle ne l’aimait pas. Au contraire. Mais la rousse voyait très bien que Chocolat n’était pas à l’aise en réel. Elle voulait seulement lui éviter une nouvelle gêne. De plus, ils habitaient à 600 kilomètres l’un de l’autre. Comment lui dire ?

- Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Mais on pourra tout de même continuer à se parler en vocal. Parler de tout et de rien.

Le sourire de Chocolat diminua un peu. Carotte ne s’en soucia pas plus que ça et partit en courant en voyant l’heure défiler.

Pendant son défilée de chevelure volante, la jeune femme se sentait bien. Le moment qu’elle avait passé au côté du jeune homme avait été super. Mais elle préférait ces petits moments intimes qu’ils partageaient en ligne. Elle s’en alla le sourire aux lèvres et des roses pleins les mains.

Chocolat resta planté là, son train était dans une heure, il avait du temps à perdre. Il avait toujours considéré Carotte comme sa grande sœur, mais quelque chose s’était brisée en lui. Pourquoi ne voulait-elle pas le revoir ? Quelques gouttes de pluie amers coulèrent sur ses joues, allant jusqu’aux bouts de ses lèvres. Plus que cela, il s’en alla dehors le plus vite possible, pour fondre en larmes au coin d’une rue.

Le jeune brun ne comprendrait jamais les raisons du refus de Carotte.

La jeune rousse ne saurait jamais que ce moment avait gâché à jamais leur amitié.